Au Havre, le temps de l’immédiat après-guerre évoque à ceux qui l’ont connu, outre une période de privations et de difficultés quotidiennes, un interminable chantier rythmé par le bruit des pieux battus sans répit pour asseoir les fondations des « maisons » ou buildings.
Le paysage urbain juxtapose alors d’immenses monticules de briques, sillonnés par de larges chaussées rectilignes où circulent les engins de travaux.
Un vaste chantier
Pendant plus de dix ans, les sinistrés du Havre ne voient leur centre-ville qu’à travers ce vaste chantier, leur préoccupation étant d’obtenir le minimum vital : emménager dans des baraquements provisoires, acquérir du mobilier d’urgence cédé ou vendu à prix symbolique, obtenir ou récupérer des petits équipements (aujourd’hui difficiles à retrouver).
Pendant l’été 1949, avant-même que le premier habitant n’emménage, les Havrais peuvent visiter un appartement-type, place de l’Hôtel-de-Ville. « Il en faudrait 10 000 comme celui-ci » constate un sinistré dans la presse locale, indiquant en filigrane la grande précarité vécue par la plupart d’entre eux, accoutumés aux hébergements provisoires ou parfois contraints à l’exil.
« Des quartiers anciens de la ville, autour du port, qui étaient aussi les plus actifs, il ne restait à peu près rien. Seule la sauvegarde de l’église Notre-Dame pouvait être envisagée. Cent cinquante hectares où construire une ville neuve ! Jusque-là les urbanistes n’avaient pu concevoir qu’en imagination un tel ensemble architectural ».
Paru en 1963, ce commentaire de Jacques Tournant, fait allusion à l’immense chantier du Havre intrinsèquement lié aux multiples bombardements qui se sont succédés dès 1940 jusqu’aux ultimes destructions des 5 et 6 septembre 1944.
Loger les sinistrés
L’entrée dans les baraquements marque un nouvel épisode pour les populations qui ont fui leur logement par crainte des bombardements, et restent dans l’attente d’un quotidien plus serein : d’abord exilées, puis réfugiées, ces personnes revêtent le statut de « sinistrés » aux yeux des instances qui décident de l’organisation de la reconstruction du pays.
À partir de 1947, les municipalités réquisitionnent des terrains – en dehors des centres villes de manière à ne pas gêner les projets de reconstruction – afin d’offrir un toit aux nombreux sans-domiciles.
Des baraques préfabriquées selon des systèmes de construction français – expérimentés après la première guerre –, américains ou encore autrichiens sont alors implantées sous forme de cités. Ces territoires, qui côtoient les décombres de l’ancienne ville, s’organisent rapidement.