Les années 1950 sont synonymes d’espoir. Après la difficile évaluation des dommages de guerre, les immeubles de logements s’achèvent de plus en plus rapidement. Les monuments réapparaissent et la promenade dominicale devient l’occasion d’emmener les enfants admirer le chantier de l’Hôtel de Ville ou celui de l’église Saint-Joseph dont la tour semble atteindre des hauteurs vertigineuses.
En 1956, tandis que les grues achèvent le couronnement de ces édifices monumentaux, la Direction générale du tourisme décide de lancer une première campagne promotionnelle en mandatant le photographe Lucien Hervé pour saisir les instantanés de cette ville neuve, symbole de la modernité. La cité entame sa résurrection et entre dans une phase de reconnaissance. Pourtant, les plus démunis restent en attente d’un logement décent : jeunes couples hébergés par leurs parents ou laissés-pour-compte entassés dans des bidonvilles, ces situations précaires indiquent une crise du logement qui dépasse le seul cas des sinistrés.
Les HLM
Grâce aux efforts menés dans le domaine du logement social avec les Habitations à Loyer Modéré, l’Opération Million, les Logéco ou le Plan Courant, la majorité des demandes – y compris celles des plus démunis ‑ sont bientôt satisfaites. Les jeunes mariés vont enfin s’émanciper en s’installant dans une maison ou un appartement qu’ils peuvent aménager grâce à des prêts dopés par des salaires toujours en hausse. Les objets du progrès les plus convoités deviennent accessibles au plus grand nombre, amplement diffusés dans les commerces aux larges baies vitrées, illuminées par de nombreux néons. Ces ventes commerciales s’associent à d’importants évènements qui marqueront le passage à la vie moderne, comme la Foire du Havre face aux Nouvelles Galeries (place Gambetta) ou les défilés d’élégantes. Le Havre revendique aussi sa modernité culturelle avec l’ouverture de la première « maison de la Culture » inaugurée en 1961 par André Malraux.
La décoration
Même s’il n’est pas encore soutenu par les initiatives étatiques, alors orientés vers une logique d’éducation et de propagande, le « sens de la décoration » s’inscrit dans les magazines. En mars 1956, la revue Nouveau Femina s’intéresse pour la première fois à la « maison idéale des Françaises » : pour la cuisine, une majorité des femmes interrogées désire des matériaux innovants et hygiéniques (linoléum et Formica™). Si la cuisine reste l’emplacement où la ménagère passe la majorité de son temps, le living-room suscite un intérêt nouveau. Regroupant salle à manger et salon, cet espace retient toutes les attentions, on souhaite le décorer en priorité ; plusieurs indices permettent ainsi aux convives d’évaluer le « bon goût » de leurs hôtes : confection des plats, déroulement du repas, vaisselle, tissus, papier-peint et meubles… Pour la moitié des aménagements, le mobilier désiré est « sobre et sans excentricité », un style art-déco sans ornements tel qu’on pouvait le trouver dans le magasin France Ameublement, situé au Havre rue Aristide-Briand. L’autre moitié se partage entre l’ancien et le rustique, « Le meuble des gens chics » comme l’affirmait la réclame de la Maison du mobilier, située place de l’Hôtel-de-Ville. Quant aux créations avant-gardistes (design), elles occupent une place marginale, bien qu’elles soient diffusées dans deux boutiques havraises, La Crédence et la galerie Espace.
Les objets décoratifs
Les objets décoratifs ont tendance à régresser. Après plus d’un siècle d’hégémonie, les cuivres démodés sont remplacés par des plantes (fougère, philodendron, caoutchouc, misère, bégonia) que l’on pouvait placer dans des céramiques décoratives, ou par des fleurs coupées disposées dans un vase en cristal. Au même titre que la tapisserie (Jean Lurçat) ou les papiers peints (Paul Follot), artistes et artisans tentent de démocratiser la céramique d’art. Ces éléments de décoration évoluent rapidement et, si les revues comme Art et décoration ou La Maison Française présentent les œuvres de Georges Jouve, certains décorateurs comme Marcel Gascoin agrémentent leurs ensembles mobiliers par d’utiles pichets en grès que Pierre Picaglio produit à Saint-Amand-en-Pusaye. L’apogée de ce renouveau de la céramique est atteint dans les ateliers de Vallauris qui attirent les meilleurs potiers ou les grands artistes à l’instar de Pablo Picasso ; cependant, ces œuvres célèbres sont amalgamées avec les « attrape touristes » parfois maladroits voire clinquants…