Le Havre, Patrimoine mondial

Front de mer sud

Le front de mer sud

La construction du Front de mer sud a été réalisée au titre des dommages de guerre pour la Société Coopérative de Reconstruction François Ier. C’est Pierre-Edouard Lambert qui a étudié et mis au point le plan masse ainsi que les plans de cet ensemble considérable dont il a dirigé les travaux. C’est le 23 décembre 1952 qu’ un arrêté ministériel d’Eugène Claudius-Petit  dispense l’ensemble des îlots du Front de mer sud de permis de construire « en raison de son caractère expérimental ».

Description du projet

Le nouveau plan d’urbanisme défini par Auguste Perret pour le centre-ville du Havre a été maintenu dans le cadre du triangle ancien dont les sommets sont signalés par des ensembles d’allure monumentale : le Front de mer sud, la Porte Océane à l’ouest et la place de l’Hôtel de Ville au nord. Ce plan comprend deux trames régulières orthogonales, l’une a pour origine l’axe de la rue de Paris, l’autre l’axe du boulevard François Ier.

Le Front de mer sud, le long du chenal d’accès aux bassins du port, pouvait donc être implanté perpendiculairement soit à l’une soit à l’autre de ces voies. La disposition finale suit la ligne du quai, comme l’alignement précédent, perpendiculaire au boulevard François Ier, à 45 degrés de la rue de Paris. Il aurait pu en résulter des bâtiments de plans triangulaires ou pentagonaux mais la création d’une petite place rectangulaire, traversée en diagonale par l’extrémité sud de la rue de Paris, a permis la rencontre des deux trames et l’accès au quai.

Le Front de mer sud est un ensemble architectural spectaculaire qui se déploie sur environ 600 mètres. Il se compose de trois grands redents formés par quatre barres de quatre étages ponctués de deux tours de onze étages, de liaisons basses ou passages couverts affirmant les volumes et d’immeubles de cinq étages soulignant l’entrée de la placette vers la rue de Paris et l’angle terminal sur le Bassin du Roi. Le Front de mer sud amorce la ceinture de défense de la cité contre le vent, en ponctuant de volumes plus hauts les redents de sa composition.

L’intérieur des îlots a été établi sur une « grecque » dont les prospects (distance minimale autorisée par les règlements de voirie entre les bâtiments, calculée pour un éclairement naturel satisfaisant) suffisamment généreux accordent un ensoleillement des appartements dont la plupart possèdent deux orientations.

Afin d’abaisser le coût et le temps de construction, une structure à grande répétition et des éléments standardisés de préfabrication industrielle ont été adoptés. Le Front de mer sud a été uniformément édifié par une ossature en béton armé sur une trame carrée de 6,24 mètres avec des planchers en béton armé et des panneaux de façade monobloc allant de poteau à poteau. L’épaisseur des bâtiments est de deux travées avec les sanitaires regroupés au centre et ventilés par une gaine et non des fenêtres comme cela avait été réglementé par le ministère de la Santé publique (ce qui a permis de gagner une pièce habitable tous les 200 m²).

En 1954, Pierre-Edouard Lambert justifie ses choix architecturaux : « La standardisation très poussée risquait de créer une grande monotonie dans les façades, monotonie que le contraste des volumes n’aurait pas pu complètement atténuer, du moins à l’échelle du promeneur et peut-être même à l’échelle du paquebot. Il a donc été prévu, en plus de l’architecture de base formée par des poteaux implantés sur la trame, une variante composée d’une série de potelets préfabriqués, élevés d’étages à étages, et constituant avec les chaînages horizontaux de ces étages, une sorte de poutre peigne. Ces potelets disposés en contre-point du rythme des poteaux, reçoivent soit des cadres de baies, soit des pleins. Les rez-de-chaussée ont été composés avec des éléments de support variés suivant l’importance de leur emplacement : le centre de la composition et la placette à l’ouest, ont été ponctués de colonnes rondes ou de pilastres carrés avec contre ordre de soutien de l’entresol, la partie commerciale à l’est qui exigeait un maximum de surface a été redoublée au long de la façade par un jeu de piliers jumelés (répétition du contre-ordre) formant portiques. »

L’élément architectural d’unification est le rez-de-chaussée surmonté d’un entresol, une formule flexible qui s’adapte aux commerces comme aux habitations. La variation est obtenue par les deux systèmes d’ossature, par les remplissages et les coloris. Les plafonnements des portiques de circulation, les surfaces des balcons et les corniches sont bruts de décoffrage ; l’ossature, les faces des cadres de baies parallèles aux façades et les sous-faces en voussures ou en plate-bande des poutres des portiques sont feutrés au ciment. Les façades de la placette sont bouchardées. Les passages couverts éclairés par des voûtes en dalles de verre.

Excepté pour les tours, les galeries ne sont pas placées sous les appartements de façade du premier étage, mais sous la terrasse d’un entresol résidentiel. Toute la façade de l’immeuble se trouvant au niveau donné par les vitrines des magasins, les galeries n’ont que la hauteur du rez-de-chaussée. On a ainsi un décalage en profondeur entre la façade des tours qui se trouve au-dessus des colonnades et les façades des bâtiments horizontaux, en retrait de trois mètres environ sur les précédents. Chaque îlot comprend une entrée principale sur la rue, une entrée charretière et des entrées particulières sur les cours-jardins.

Les aspects techniques

Le Front de mer sud constitue l’un des premiers chantiers où furent appliquées les méthodes de construction industrialisées. Si la trame de 6,24 mètres, décidée par Auguste Perret, offre de très grands avantages, elle ne se prête pas toujours au façonnage d’éléments standardisés. Ainsi Pierre-Edouard Lambert, a été obligé de faire jouer cette structure pour les longues façades des barres dont il a décomposé l’ossature selon deux systèmes de base : l’un à poteaux, constituant le quadrillage de base, suivant la maille de 6,24 mètres, l’autre à potelets préfabriqués, en contrepoint des poteaux.

Dans l’entraxe de 6,24 mètres, le mur de façade est composé d’éléments « monoblocs » à une, deux ou trois blocs-fenêtres reçus sur les potelets. Ces panneaux de remplissages sont du type n°5 des « Procédés Agglogiro », brevetés SGDG et agréés par le MRL et le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. Ils sont constitués d’une dalle nervurée non armée en béton de 6 centimètres d’épaisseur et parement fini en gravillon brossé, vers l’extérieur ; d’un corps creux en béton de pouzzolane de 5 centimètres d’épaisseur préfabriqué, assemblé et solidarisé avec la dalle par les nervures légèrement armées de celle-ci, vers l’intérieur, formant la paroi interne avec parement en plâtre ; d’un deuxième corps creux, identique au premier mais avec un parement en plâtre préfabriqué, au milieu. Les deux corps creux sont maintenus écartés l’un de l’autre par des cales en béton de mâchefer qui déterminent l’épaisseur de la lame d’air à isolement phonique. Le procédé est économique car un panneau à trois baies de 13,50 m² de surface ne nécessite qu’un mètre cube de béton et neuf kilos de treillis métallique, compte-tenu des encadrements de baies très importants (les tableaux, linteaux et appuis font 41 centimètres de large). Chaque panneau est coulé dans un cadre métallique rigide breveté, posé sur le plancher brut, en face de son emplacement définitif, puis relevé et mis en place d’un seul tenant. Le moulage de l’encadrement des baies est assuré par des dispositifs brevetés permettant un décoffrage facile et rapide avant la prise du béton dont le parement peut être traité. Les cadres de baies, préfabriqués en béton armé vibré, sont scellés au moulage.

Les planchers sont constitués de dalles en béton armé et de nervures. Les cloisons sont en briques pleines ou creuses avec un enduit de plâtre. L’isolation thermique de la terrasse est effectuée par une couche de béton cellulaire coulé sur la dalle, l’étanchéité par de l’asphalte.

Le Front de mer sud produit une succession de points de vue, tant depuis la mer que depuis les quais. Son apparence procède d’une combinaison entre le style des ISAI de la place de l’Hôtel de Ville et le style commerçant de la rue de Paris. L’esthétique du Front de mer sud, son rythme et son ordonnance découlent de l’application du Classicisme structurel défini par Auguste Perret. Pierre-Edouard Lambert a su établir un vocabulaire architectural en adéquation avec la standardisation et la production en série. Il conçoit ici un système de passages éclairés par des voûtes en verre identique à celui qu’il a utilisé pour les préaux du lycée de filles (actuel collège Raoul Dufy).

Une trentaine d'architectes (parmi lesquels Jacques Tournant, Adrien Brelet, Raymond Audigier, Jacques Lamy, Charles Fabre, Jean Le Soudier) et trois cabinets d'ingénierie (Alphe, Sogeti, André), ainsi que le Centre scientifique et technique du bâtiment, ont travaillé à l’opération (1127 logements) sous la direction de Pierre-Édouard Lambert.