La vogue des arts ménagers correspond à un besoin économique de relance impulsé par les initiatives institutionnelles. Avant-guerre, le réfrigérateur, la machine-à-laver, le four à gaz, les plaques-électriques, l’aspirateur, etc. sont des outils rares et coûteux. Mais Outre-Atlantique ils ont déjà pris une place prépondérante dans les foyers et vont lancer un système de production rentable, générateur d’emplois.
Evolution de l’espace domestique
La Libération de 1944 n’est pas encore celle de la femme : il faut au contraire constater une aliénation plus forte de leur condition autour du foyer. La femme devient responsable de son foyer, elle devient la ménagère rêvée faisant autorité dans son domaine. Paroxysme du genre, le Concours de la Meilleure Ménagère consiste à savoir répartir les pièces pour « rationaliser » son travail (la cuisine à proximité de la salle), à être une bonne repasseuse de chemises masculine (en temps chronométré) et bien sûr se révéler une excellente cuisinière toujours souriante et, toutefois, agréable à regarder.
La cuisine
Dans le logement, la primauté revient à la cuisine ‑ pièce où tous les talents de la ménagère sont mis à contribution.
Fort éloigné de la cuisine nouvelle, l’art culinaire repose toujours sur la cuisson, suivant un principe de « bon sens » développé dans La femme au Foyer en 1948 : « La cuisson attendrit les aliments : ils sont plus faciles à manger ; elle fait subir aux albuminoïdes un début de transformation et fond les graisses, ils sont ainsi plus faciles à digérer. Elle les stérilise en tuant les microbes et les parasites qu’ils peuvent avoir ; enfin elle permet les diverses combinaisons culinaires qui flattent le goût ».
La fastidieuse cuisinière à charbon étant vouée à disparaître, une révolution s’établit avec l’arrivée du gaz : l’autocuiseur porte alors la notion de progrès en diminuant le temps et la consommation d’énergie grâce à la mise sous pression, suivant la formule thermodynamique PV=nRT… Ainsi, la Science s’introduit de plus en plus dans notre quotidien grâce à des institutions aussi sérieuses que le C.N.R.S. ou le Ministère de l’éducation nationale qui n’hésitent pas à s’impliquer dans le Salon des arts ménagers.
L’ère de la cocotte
Plus de manomètre à surveiller, ni de goupille à libérer, l’arrivée de la cocotte minute SEB™ règle tous les problèmes de sécurité : entre 1954 et 1955, plus de 400.000 exemplaires sont vendus. Mais à la fin des années 1950, l’allure de la traditionnelle cocotte en fonte, toujours produite au Creuset, est modernisée par Raymond Loewy qui instaure la première particpation d’un grand designer pour un objet banal. Ce tournant marque l’introduction d’un choix guidé par l’esthétique et non plus par la seule nécessité. Rapport de séduction et autres « coups de cœur », nous font entrer pleinement dans la société de consommation. Au même moment, l’hygiénisme blanc des cuisines-laboratoires de l’après-guerre cède la place aux meubles recouverts de Formica™ rouge, bleu ou jaune, pratiques et conviviaux.
Les prémisses de la cuisine aménagée
La cuisine voit paradoxalement sa place se réduire et certains voudront même l’abolir au profit d’un cuisine collective (Le Corbusier) ou d’appareils de cuissons sur la table (raclette, pierrade, gaufrier en sont les derniers descendants).
La cuisine se réduit donc et se rationalise plus encore que le placard : la machine à laver la vaisselle apparaît mais l’évier conservera sa place au cœur de la cuisine. Il prend le centre et autour s’y déclinent les outils de cuisine comme le four-gazinière, les placards à vaisselle et un peu plus loin les rangements de nourriture placard à conserves et réfrigérateur… nous voyons naître dans l’après-guerre l’idée de cuisine aménagée. Ce sera bientôt la grande heure du formica. Notons aussi la disparition partielle de la buanderie remplacée par un réfrigérateur ; pourtant les logements de luxe la maintiennent souvent car elle reste un lieu idéal pour le séchage du linge ou la conservation des légumes.
La kitchenette
C’ est une autre révolution car le lien fonctionnel est évident (manger) mais dans les anciens habitats elle était systématiquement séparée de la salle à manger par un couloir voire plusieurs pièces ou même un étage.
Cet usage était issu de la séparation admise entre un lieu de travail (odorant) et un lieu de repos (hygiénique) mais surtout entre l’espace des domestiques et celui des patrons. La disparition de la domesticité donne à la femme un rôle chevauchant travail et repos : elle travaille en cuisine mais participe aussi au repas, la kitchenette répond à cette double contrainte.
Naissance de la société de consommation
Après-guerre, l’acte d’achat « libérateur » s’inscrit progressivement dans les pratiques de consommation : c’est la naissance de la société de consommation et de la rationalisation à l’intérieur même du foyer. On intègre donc une logique d’achat où l’homme travaille, gagne de l’argent, dans le but de « gâter » sa compagne, en lui offrant un robot ménager qui l’aidera en éliminant la part laborieuse et ingrate qui était autrefois l’apanage des domestiques car désormais « il n’y a plus de bonnes » (Les Bonnes, chanson des frères Jacques).
« Depuis plus d’un quart de siècle, le Français, conscient ou inconscient, se refuse à consacrer à l’établissement et à l’entretien de son foyer une part de ses revenus comparable à celle qu’y investissent la plupart des nations civilisées
Depuis plus longtemps encore, cédant à un goût très net pour l’ « antiquité », il s’efforce de vivre à la moderne dans un cadre ancien, oubliant que les styles révolus n’ont pu naître autrefois que d’une inlassable volonté de renouvellement et de modernisme.
Plus récemment, devant l’acquitté chaque jour plus accusé du problème domestique, il n’a pas cherché à adapter son intérieur aux nécessités de l’heure, à disposer judicieusement de l’espace, à économiser le temps ; il a fermé les yeux devant quelques « robots » ménagers qui, trop rares encore, lui eussent cependant évité tant de soucis. »
Maison Française (octobre 1946)
De l’Art déco au design
En peu de mots, l’éditorial du premier numéro de la Maison Française résume la préoccupation de l’Etat face à un bilan accablant sur l’habitat français et ouvre sur l’idée d’une implicite éducation à mieux consommer pour son foyer.
Figures de proue d’un style reconstruction, ces « créateurs de modèles de série » impulsent en France le passage de l’Art déco au design : proches des tendances scandinaves, ils adaptent les doctrines modernes aux meubles en chêne, matériau économique et robuste, chaleureux et lumineux, aisément compatible avec les goûts et les budgets d’une large clientèle.