Le Havre, Patrimoine mondial

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La passerelle bassin du commerce

En 1887, une passerelle métallique avait été construite à l’occasion de l’Exposition Maritime Internationale. Elle a été remplacée en 1899 par une passerelle avec tablier de métal. Le 5 décembre 1950, des habitants et des commerçants ont réclamé le comblement du bassin du Commerce afin de rétablir une liaison entre les différents quartiers de la ville qu’il sépare. Mais il fut décidé de le conserver pour accentuer l’identité maritime de la cité havraise. 

L’ancien pont, qui avait survécu aux bombardements mais qui était devenu dangereux, fut détruit en 1963 malgré le mécontentement d’un collectif d’habitants de Saint-François qui voyaient dans cet acte une atteinte à la mémoire de la ville détruite du XIXème siècle. Mais la municipalité désirait accentuer l’image dynamique nouvelle du Bassin, réservé à la navigation de plaisance.

En 1965, le Président du Comité de Défense des Intérêts du Quartier Saint-François demanda au maire, André Duromea, l’accélération du projet et exigea de voir les esquisses. En juillet de la même année, le Port Autonome fournit à Jean Balladur, alors Architecte Conseil de la Construction, les éléments d’une étude architecturale. Dans le programme il était établi que la passerelle, uniquement réservée aux piétons, serait surélevée en forme d’arc et franchirait le bassin à une cote suffisante pour laisser le passage de petits bateaux. En 1966 une étude est confiée aux services du Port Autonome. Le 30 septembre 1966, une passerelle provisoire type Bailey est ouverte à la circulation.

En décembre 1966, l’architecte Guillaume Gillet reçoit une lettre du Service Ordinaire des Ponts et Chaussées de la Seine Maritime pour le compte du Ministère de l’Équipement (secrétariat d’État au logement) l’avertissant du lancement d’un concours pour la construction de cette passerelle. C’est Jean Balladur, nommé membre du Jury de Concours, qui a conseillé de lui soumettre le projet. Gillet travaillait déjà pour un projet sur le même site : l’aménagement de la place Gambetta, au bout du Bassin du Commerce, sur laquelle il devait élever un théâtre-maison de la culture-casino et des commerces. Il se trouvait donc au cœur des préoccupations havraises. Mais c’est Oscar Niemeyer qui fut choisi quelques années plus tard pour accomplir ce vaste programme.

Au cours de l’été 1968, une maquette réalisée au 1/200e (par M. Guiol, ingénieur ETP à la Direction Départementale de l’Équipement et M. Roulland de la SFTR) est exposée aux yeux de tous les Havrais dans les vitrines de l’agence American Express située alors quai George V.

Les travaux ont été dirigés par la Direction Départementale de l’Équipement (arrondissement du Havre) avec l’aide des services techniques du Port Autonome.

La passerelle est un pont à haubans asymétriques d’une longueur de 100 mètres et d’une largeur utile de 5,50 mètres comprenant une chaussée centrale de 2,50 mètres et deux trottoirs latéraux de 1,50 mètres. L’architecte a utilisé la fondation de la pile sud de l’ancien pont pour y élever un pylône métallique en A de 39 mètres de hauteur supportant la passerelle. C’est à ce mât, décalé vers le sud, que sont suspendues deux travées métalliques de 31 et 73 mètres, par quatre groupes de deux haubans disposés en éventail (le hauban est un câble incliné permettant de soutenir le tablier, c’est-à-dire la partie horizontale du pont qui supporte la voie).

L’ossature métallique en acier est composée de deux éléments, analogue aux fléaux d’une balance (fléau : partie en console d’un pont en construction), constitués par deux poutres à âme pleine (âme : partie d’une poutre qui relie les membrures inférieure et supérieure), espacées de 2,50 mètres, en forme de double T de hauteur variable, de 40 centimètres aux abouts à 1,25 mètres au milieu. Les profils des intrados, d’un rayon de 882 mètres, et des extrados, d’un rayon de 200 mètres, font varier la hauteur des âmes. Les poutres sont reliées par des entretoises en profilé reconstitué, soudées sur les raidisseurs verticaux des âmes. Aux abouts, les fléaux sont reliés entre eux par des suspentes (élément tendu vertical supportant un tablier) liaisonnant les extrémités des âmes entre elles. Ces suspentes permettent tous les mouvements de dilatation et de flexion des poutres. Les dalles préfabriquées posées sur la poutraison, sont en éléments de faible largeur de façon à permettre de suivre la courbure du platelage (plancher de la charpente sur lequel circulent les véhicules ou les gens). Les appareils d’appuis fixés sur pile sont en acier moulé.

La pente variable de la rampe est assez forte, avec une moyenne de 16 %, afin d’assurer un tirant d’air de six mètres au-dessus des plus hautes eaux, au centre du tablier, pour permettre la navigation des petits voiliers. Elle a un revêtement antidérapant et un système de chauffage électrique de la dalle du tablier aide à lutter contre le verglas.

Les garde-corps permettent une visibilité totale et donnent une impression de légèreté. La passerelle est peinte en blanc.

Chaque entreprise consultée a fourni à Guillaume Gillet des dossiers de calculs qu’il a étudié avant de retenir la charpente métallique sur platelage de béton. La solution choisie, à double fléau, a permis l’amincissement de la passerelle dans l’axe du bassin, l’utilisation de fléaux préfabriqués en une seule pièce, et la réduction au strict minimum du montage sur place.

Le système de pont à haubans, différent des ponts à suspente de type pont route, est conçu selon le principe des mâts de navire pour la répartition des forces. Autostable, il répartit les charges, afin que, théoriquement, aucune force ne s’exerce à ses points d’appuis extrêmes. Il est capable de soutenir 450 kg/m².

Après un sablage à blanc, les peintures sont constituées d’une couche de chromate de zinc contre la corrosion et de deux couches de glycérophtalique. Les garde-corps en inox comportent une lisse en tôle pliée contenant les appareils d’éclairage électriques.

La volonté de donner à la passerelle un aspect architectural, sinon sculptural, adapté au site a présidé à sa conception. Par sa légèreté et sa hauteur, la passerelle du Havre s’harmonise avec l’espace urbain et les bâtiments qui l’environnent. Ses lignes s’accordent parfaitement avec la Maison de la Culture d’Oscar Niemeyer. Sa blancheur, son dynamisme asymétrique et ses courbes répondent aux caractéristiques du « Volcan » de l’architecte brésilien. Elle scande la vaste perspective du Bassin du Commerce.

Elle remplit tous les critères esthétiques d’un pont : équilibre visuel global (les ponts à haubans sont généralement plus beaux que les ponts suspendus), harmonie des proportions générales, ordre dans l’ordonnance des lignes et des arêtes des volumes constituant l’ouvrage (symétries, répétitions), qualité des parements (texture, couleur), soin et minutie des détails. La passerelle n’aboutit pas directement sur le quai mais en hauteur sur l’escalier/rampe qui mène à elle, ce qui renforce son allure aérienne. Son éclairage est linéaire pour éviter que des candélabres ne détruisent l’harmonie des lignes de l’ouvrage.